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BOURDON NIPPON

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La moto rend philosophe - Motorbike is more than a vehicule


MotoGP : Sprint au profit

Publié par Guido sur 28 Mars 2023, 08:44am

Catégories : #Opinion - Humeur, #Motorsport - Moto pro

MotoGP : Sprint au profit

  Le week-end dernier marquait le retour des as du guidon sur leurs prototypes avec un panel de nouveautés derrière les carénages, sur les carénages et dans les coulisses.

   Côté moto, la belle nouveauté était la fascinante carrosserie de l'Aprilia. L'histoire de l'industrie est jalonnée de machines si racées et avant-gardistes qu'elles restent à ce jour des icônes de l’ingénierie : le Mustang P51, la Jaguar type E, la Yamaha GP 500 1993. Le génie du beau allié au souci de la performance ravit mon âme. L'Aprilia GP23 présente une silhouette fuselée en raison d'un dosseret allongé qui intègre l'échappement et d'appendices aérodynamiques assez discrets pour ne pas dénaturer l'ensemble. A l'opposé, la ligne d'échappement des prototypes KTM fait tache, impression d'inachevé.

   Du point de vue dynamique, l'armada Ducati poursuit son triomphe. On a d'ailleurs l'impression d'avoir affaire à une coupe de marque en étudiant le tableau de chronométrage. Même Alex Marquez y trouve son compte sans doute au grand dam de son champion de frère englué dans les errements d'Honda. En effet, l'année 2023 commence par une énième contre-performance du constructeur japonais. Le tréteau ailé reste fidèle à sa mauvaise réputation d'instabilité. Même le génie de Marc Marquez y laisse des plumes sans parler du jabot d'Oliviera... Ces déboires ne sont pas sans rappeler ceux de Yamaha qui est parvenu à trouver de la vitesse de pointe sans augmentation de l'accélération. On pourrait croire que la structure décisionnelle de ces sociétés manque de réactivité et adaptabilité. Y a t-il une incapacité à faire face à la réalité dans les laboratoires de R&D de la baie de Tokyo ?

   En coulisse, la Dorna, société espagnole d'organisation de spectacles, a cadenassé davantage la communication tout en accroissant l'offre afin de renouveler le spectacle. Il est aujourd'hui impossible d'accéder à l'information MotoGP sans être abonné au site officiel ou à une chaîne de télévision cryptée. Cherchez donc une série d'images d'un prototype 2023 sur votre moteur de recherches favori. On a l'impression d'être un pauvre orphelin contemplant les lumières du Luna Park depuis le porche d'entrée.

    Mais le pire est sans aucun doute le changement du spectacle en lui-même. La course du dimanche est aujourd'hui précédée par une parade des pilotes à la manière des championnats automobiles (Indy car, Formule 1) et une course plus courte appelée « Sprint ». Durant celle-ci, les pilotes s'élancent sur des machines dotées des réglages de qualification pour remporter une épreuve réduite de moitié. L'idée de la Dorna est de favoriser le spectacle par une mise en action immédiate et des luttes en paquet permises dans les premières tours. Seulement la sprint a fait « pschitt ! ». Cette course a donné lieu à un run sauvage. C'est donc à grands renforts de manœuvres rustiques et de chocs de carénage que les pilotes se sont mesurés. A tel point que le talentueux Bastianini a été relevé avec une omoplate brisée. Ce qui au vu de sa vitesse de projection générée par le coup de Marini aurait pu se terminer par une destruction de l'épaule.

    A mon sens, j'ai assisté à un tournoi local où le sens du spectacle ne repose plus sur le talent éprouvé des participants mais sur leur bestialité la plus primitive. Comme bien des pilotes l'ont fait remarquer, cette nouvelle épreuve est dangereuse. La moto assassine ses adorateurs avec une saisissante facilité parce que rien ne parvient à protéger le haut du corps d'un motard. Pons, Rougerie en leur temps Simoncelli, Tomizawa et Dupasquier plus récemment ont été tués par la moto d'un adversaire. Ne parlons pas du regretté « Mexicano » (Luis Salmon) écrasé par sa propre moto à Catalunya.

    La course Sprint diffuse une mauvaise image de la pratique motocycliste. Elle propose une lutte de brutes où tous les coups semblent permis. Elle dévalorise le talent des pilotes capables de régularité sur un temps long alors que la mécanique se dégrade et que le métabolisme s'épuise. Des champions obligés de se soumettre à cette vile empoignade, est-ce l'idée du sport mécanique qu'il s'agit de transmettre ? Mon sentiment a été d’assister à la dégradation des conditions de travail de ces sportifs passionnés : « Venez donc voir le choc des bêtes de foire sur deux roues ! ». J'ai eu l'irrésistible envie de revoir une grève de pilotes comme en 1974, 1978 ou encore 1982 lorsqu'il fallait s'associer entre adversaires pour obtenir des garanties en matière de sécurité et le remboursement des frais de voyage. Roberts, Agostini, Sheene et les autres avaient obtenu gain de cause contre ces messieurs les organisateurs si proches de leur investissement.

    Aujourd'hui, la Dorna tombe dans un travers qui pourrait l'emporter. Elle tente de calquer l'organisation des courses motocyclistes sur celles des compétitions sur quatre roues au nom du profit. Cette société espagnole  tente d'imposer le format d'exclusivité premium à un sport qui socialement et économiquement n'a rien à voir avec l'automobile. C'est d'autan plus troublant que la Dorna elle-même a connu la période des vaches maigres de la motocyclette lorsqu'il fallait payer les équipes afin qu'elles puissent aligner des machines. Tout motard passionné se souvient des exploits d'Espargaro dans la catégorie bâtarde des CRT (Claiming Rules Teams) devenue Open en 2014 pour des soucis de marketing. Pire, à la fin des années 1960, le désintérêt du public avait provoqué l'extinction de courses comme le Bol d'or entre 1961 et 1969.

    Carmelo Ezpeleta, président-directeur de la Dorna, motard dilettante et fin commerçant au service des intérêts de Bridgepoint Capital et de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, devrait aussi prendre en compte le changement global qui modifie la perception de la vitesse sur deux roues. Le retrait de Suzuki n'est peut-être que le début d'une réflexion d'ensemble de l'industrie sur le sens futur de la pratique motocycliste plus respectueuse de l'environnement et moins soumise au diktat de l'intelligence artificielle qui fait naître des assistances à la conduite qui dénigrent le génie humain en selle.

   A l'issue de la réflexion que je viens de vous livrer, j'ai envoyé un message à la Dorna pour lui annoncer que je boycotte dorénavant les courses Sprint pour me consacrer sur l'unique championnat qui valorise les pilotes : celui des courses du dimanche.

 

Extrait d'une interview de Marc Marquez après le grand prix du Japon (octobre 2023) :

"Le calendrier 2024 vient de paraître et affiche 22 rendez-vous. Qu’en penses-tu ?

« J’aime la course et on est payés pour ça, mais 22 courses et 22 sprints, 44 départs — parce que les sprints ne sont pas appelés “course”, mais ce sont des courses —, c’est trop. J’adore la course, mais c’est trop. Si vous regardez le ratio des blessures cette année, il y en a beaucoup et qu’est-ce qui a changé ? Les sprints. Durant le week-end, il y a beaucoup de moments où on est à la limite, et donc beaucoup de moments où nous sommes dans des situations risquées. Mais ce n’est pas seulement ça… Les week-ends demandent beaucoup d’efforts aux pilotes, cela crée beaucoup de stress, on est plus fatigué, et quand on est fatigué, on est moins concentré, et moins de concentration, ça veut dire plus d’erreurs et donc plus de chutes."

 

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