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BOURDON NIPPON

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La moto rend philosophe - Motorbike is more than a vehicule


Sicile façon moto

Publié par Guido sur 19 Février 2020, 12:54pm

Catégories : #Travel - Ailleurs

Sicile façon moto

   Dans la série « à la manière de... » débutée il y a trois ans en Sardaigne, je vous propose un post motocyclo-touristique concernant une autre île méditerranéenne : la Sicile. Du fond de mon siège de caisseux, une question m'obsède : est-il envisageable de visiter ce triangle de terre sur deux roues ?

  « Sicula », Sicile en sicilien. Ce mot, je l'entends prononcé dans le souffle lent d'une voix brisée. J'imagine l'épuisement d'une âme délavée par le soleil, rongée par la violence et anéantie par l'âge de quelque mafioso du 7ème art. Ce stéréotype n'a plus lieu d'être en 2020 car le pays s'est enrichi grâce - entre autres - à l'action de l'Union Européenne mais aussi du fait de la mutation de la mafia, devenue une firme transnationale de l'illégalité en col blanc.

   La Sicile est bien un calice méditerranéen figé dans le temps long de l'histoire humaine. Ce triangle de terre a été et reste une escale pour les aventuriers. Alors pourquoi pas pour vous ?

  L'hiver sicilien est habituellement synonyme d'intempéries. Les profondes ravines qui strient les collines et les panneaux routiers annonçant le risque neigeux en témoignent. Seulement, ce mois de février 2020 est sec et doux. Le réchauffement climatique qui est un désastre pour l'humanité profite aux touristes. Le soleil donne sur un fond d'azur sans nuages. La température oscille entre 12° et 19°C. Le vent est léger voire nul. Le climat sicilien ressemble à celui d'un printemps. Les fleurs des amandiers constellent les collines vertes. Le volcan Etna conserve un voile de neige à plus de 2000 mètres. La fin de l'hiver semble devenue la période idéale pour poser ses roues en Sicile.

 De la route à la fois pittoresque et folklorique

  Le réseau routier sicilien porte les stigmates de l'histoire méditerranéenne. En effet, les indigènes se sont enfermés sur les hauteurs afin d'échapper aux « peuples de la mer », guerriers avides en tout genre. Les routes relient donc des villes perchées ou acropoles. On monte en virages serrés pour redescendre en zigzag avant de louvoyer sur les flancs des collines pour de nouveau grimper et ainsi de suite. On est comme pris dans une immense tempête immobile.

  A partir des années 1970, l’État italien a massivement investi dans l'équipement autoroutier des plaines signalé en vert. Ainsi, une grande partie du littoral tout comme l'intérieur de l'île sont accessibles par autoroute. Certaines voies rapides sont d'ailleurs gratuites. 3 heures séparent la capitale, Palerme, de Catane, port de l'est au pied de l'Etna. Le carburant est facile à trouver (1,50€ le litre de SP95). Mais c'est sans compter avec la qualité des équipements et la conduite à la sicilienne...

  On accède à l'autoroute par une voie d'accélération minimaliste. Il s'agit donc d'avancer lentement en observant la circulation afin d’accélérer comme une brute pour s'insérer dans le trafic. Ces voies rapides sont souvent établies sur des ponts aux piliers en « Y ». Un joint de dilatation donne le hoquet aux véhicules tous les dix mètres. Les aires de service sont rares, à moins de circuler sur les sections payantes de la côte orientale.

  Les voies secondaires quant à elles relèvent de l'initiation routière. Sans tourner autour de la poignée, le réseau local peut s'avérer dangereux. L'asphalte couleur gris souris n'assure pas toujours un bon grip. Pour avoir forcé quelques entrées de virage au volant de ma mini-citadine de location, je me suis retrouvé plus d'une fois en crabe obligé de contre-braquer. La Sicile est une terre agricole et la route en porte les traces au moment des travaux des champs (labours, taille de l'olivier, commerce des artichauts). De lents troupeaux de brebis circulent sur les voies. Les rues des villes peuvent être garnies de pavés lisses et luisants, de quoi perdre l'avant en beauté, devant une terrasse de gelateria. En virage, les bas-côtés sont ceinturés de glissières ou de murets bas, des trucs à vous catapulter dans le vide en cas de contact.

Plus grave, les routes s'affaissent. Elles glissent dans la pente en créant des bassines géantes ou des séries de plis serrés. A vive allure, on saute et on manque de perdre le contrôle dans de violents coups de gîte. Les trous sont nombreux sans parler des tas d'ordure qui décorent parfois le point de corde. Enfin, les travaux de maintenance sont permanents et ils sont signalés au dernier moment (à moins de 50 mètres). Dans ces conditions et malgré mes qualités reconnues de pilote de seconde division, je ne suis parvenu qu'à tenir une moyenne de 55 km/h sur 1500 km.

De la conduite « à la sicilienne »

   A cela, il faut rajouter l'exotisme des comportements routiers. Les Siciliens sont majoritairement des gens simples et accueillants mis à part les loueurs de voiture de Green Motion sans doute issus d'une lignée de bandits sans honneur. Au volant, le Sicilien s'occupe exclusivement de sa conduite c'est-à-dire de son arrivée prochaine au point B. La prise en compte de l'autre s'en trouve ainsi gravement déformée. Entre la mama qui va au marché à 30 km/h et l'artisan qui file à 140 km/h, on trouve tout et n'importe quoi en Sicile. Le contrôle de la vitesse est affiché partout mais dans les faits, il est très aléatoire. Une longue série d'appels de phares annonce une paire de carabinieri, espèce bien rare.

L'arrêt inopiné sans clignotant, le parking sur la trajectoire, le dépassement en aveugle et le virage coupé relèvent ici de l'habitude. La ligne continue en Sicile correspond aux pointillés en France ; la double ligne à notre ligne continue mais cela est anecdotique pour les indigènes. Le panneautage est tardif mais bien fait. Si une courbe est signalée, c'est qu'elle est susceptible de vous surprendre. A partir de ces constats, les virtuoses locaux du volant interprètent de drôles de partitions. Mieux vaut rouler sur ses gardes, tranquille au service de sa survie (voir Darwin). En traduction locale, ça donne : « Chi va piano, va sano e lontano ».

  Il y a tout de même deux perfidies locales qui m'ont estomaqué. La première est le demi-tour sur place en plein trafic. Le Sicilien semble préférer la courte distance à la sécurité. Il est capable de réaliser un demi-tour sur une route encombrée plutôt que d'aller chercher un rond-point ou un carrefour pour revenir sur ses pas. Ainsi, j'ai vu la route Monreale / Palerme bloquée par un type qui manœuvrait en sortant du tabac. Ni un warning, ni un geste de remerciement. Les piétons et mêmes les animaux traversent de la même manière sans forcer l'allure. « Motard, prends garde à toi ! »

  Le second particularisme concerne la priorité à droite. C'est une pratique inconnue dans l'île. Le conducteur sicilien ne marque pas l'arrêt, il s'avance à 2 km/h. L'idée doit être de maintenir sa mobilité à tout prix. Tout se fait à l'esbroufe. On vous regarde de loin, on observe votre vitesse et on évalue la qualité de votre freinage. C'est un jeu de dupes dans lequel le touriste perd à coup sûr. Malgré la fatigue et l'agacement que cela provoque, je vous exhorte à la prudence : laissez passer les habitués afin d'assurer votre sécurité.

  La Sicile est-elle une terre motocycliste ? Ses habitants préfèrent la petite voiture adaptée au transport de personnes entre des villes étroites et populeuses. Les deux roues motorisés apparaissent dans l'agglomération palermitaine qui concentre plus d'un million d'habitants. Mis à part les objets de collection, l'état du parc en dit long sur le type de moto à choisir pour sillonner l'île : de la moyenne cylindrée routière ou trail utilitaire couverte de poussière et attaquée par la rouille marine. La Ducati Panigale ou le supermotard KTM relèvent du bestiaire à licorne. En février, les motards routards étaient absents. Nous avons croisé quelques moto-clubs qui roulaient carré sur Harley et roadster le dimanche matin.

  Si je devais visiter la Sicile en deux roues, j'enfourcherais mon Versys 650 en solo ou un trail 800 à deux plutôt de marque japonaise (plus facile à dépanner en local) ; une machine à la fois maniable, légère et assez puissante pour avaler les pentes sans jouer de la boîte à vitesses. Ma bécane serait équipée d'une plaque moteur, d'un support GPS et surtout de phrases additionnels. Ces derniers ustensiles seraient le moyen d'attirer l'attention du Sicilien. Dans le pire des cas, ils pourraient assurer un trajet à la nuit tombée, ce que je vous déconseille absolument tant les routes sont piégeuses. Pour l'équipement du motard, une veste tout temps, un sac à eau et un casque ouvrant à casquette devraient suffire.

Du haut de ma selle en Sicile

  Comment passer du bon temps en Sicile ? En hiver, la mer est fraîche et le commerce fermé, le tourisme est donc plutôt gastronomique et contemplatif. Vous pourrez admirer les paysages sous plusieurs angles tant la région est chaotique. Ainsi, la ville d'Enna s'offre à vous depuis l'A19 puis à partir de la ville voisine de Calascibetta et inversement.

   Pour les amateurs de virages, je vous recommande le tour de l'Etna. A partir d'Enna, empruntez la route qui mène au lac Pozzillo puis montez plus au nord au pied du volcan vers Adrano puis Bronte, Randazzo et Linguaglossa. L'étape à Taormine n'est pas indispensable car tout y est cher même si la photo du théâtre grec sur fond d'Etna a du charme. Vous la trouverez en format carte postale. La montée vers les anciens cratères Silvestri (env. 2000 m) par la SP92 à partir de Nicolosi devrait vous ravir. Le paysage lunaire a de quoi impressionné. La route franchit à plusieurs reprises des coulées magmatiques récentes.

   Sur la côte ouest, le village perché d'Erice se rejoint par une route en accordéon au-dessus du littoral. Les panoramas sont splendides et les gros freinages pourraient l'être aussi...

De la motoculture

  Mais la Sicile est avant tout une terre d'histoire. En effet, l'île est un exemple parfait d'acculturations successives. Appartenant à la Grande Grèce dans l'Antiquité, la Sicile est constellée de cités du Ve S av. notre ère. J'ai halluciné dans le théâtre de Segesta. J'ai léché les vitrines du musée d'archéologie d'Agrigento et j'ai eu une longue absence dans l'opisthodome du temple d'Héra à Selinunte. La présence romaine est de fait plus discrète même si la villa impériale de Piazza Armerina dégoûte à jamais de la richesse : l'otium oui ! Mais pas au prix de l'esclavage !

  Le Moyen Age sicilien vaut aussi son pesant d'oranges fraîches. Tout le monde a voulu y installer son port du temps de la marine à voile : « Byzantins ? Présents ! Musulmans ? Oui ! Normands ? On est là ! Germains ? Ja ?! ». Chafouin comme tout envahisseur ambitieux, chacun a pris soin de fondre ses exigences dans les coutumes locales.

De ce fait, la chapelle palatine (Palerme) et la cathédrale de Monreale mélangent les arcs brisés gothiques, les figures orthodoxes et les mosaïques géométriques arabes avec le plus bel effet. De même, la résidence de la Zisa (Palerme) a utilisé toute l'ingéniosité architecturale arabe (ventilation, fontaine et bassin) pour procurer une sensation de fraîcheur au roi normand, Guillaume II (fin XIIe S).

   La Sicile en selle ? Assurément à condition de rouler à la cool sans planning serré et en pleine conscience. Mais est-ce possible ? Dans l'absolu, tout est envisageable, la limite étant l'acception par chacun du risque encouru. En toute honnêteté, je ne peux pas envisager d'emmener des potes même sains de la poignée droite, même prêts à s'extasier devant un tas de colonnes en Sicile pour le moment. Ai-je tort ? J'attends vos retours d'expérience... heureuse s'entend.

 

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