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BOURDON NIPPON

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La moto rend philosophe - Motorbike is more than a vehicule


Voyager dans le temps : la vie des nôtres (1939-45)

Publié par Guido sur 29 Août 2017, 07:54am

Catégories : #Travel - Ailleurs

Voyager dans le temps : la vie des nôtres (1939-45)

AVERTISSEMENT : Si la majorité des articles du Bourdon nippon débutent par l'art motocycliste, celui-ci devrait contenter les non-pratiquants que j'encourage à préparer le permis afin de découvrir une autre manière de traverser le monde et la vie.

Question du jour : "L'ère informatique met-elle en péril la construction d'une histoire populaire ?".

Cet été, j'étais bien décidé à abattre la pile de livres achetés en cours d'année. Il y avait de l'essai philosophique, de la biographie politique, de la géographie électorale et de la sociologie de terrain. Une bouffée d'oxygène pour mon cerveau en congé. Seulement, j'ai préféré me dissoudre dans l'espace-temps en nettoyant l'antique maison de famille en Auvergne.

J'avais repéré cette liasse de courriers au sommet d'une armoire lors d'un précédent passage au début des années 1990. Ce fût, à l'époque, l'occasion d'une première lecture, celle de la curiosité. Mais cette fois, je décidais d'y revenir afin de l'analyser en bonne et due forme.

J'ignore les conditions de conservation de cette correspondance. Toutefois, quelqu'un a lié ces 238 courriers par une ficelle. Ce corpus se compose essentiellement de lettres sous enveloppe adressées par mes grands-parents maternels. Ces envois abordent leur rencontre jusqu'au mariage (1939-1940) ainsi que leur séparation temporaire pour raison de service (1945). Les courriers des années 1942 à 1944 sont très rares, seulement 2 pour 1944 par exemple. Comme le dernier résident de cette maison était mon grand-père, on pourrait supposer qu'il a organisé cet ensemble sans doute à la suite du décès prématuré de son épouse. Toutefois, la présence d'une lettre adressée à ma grand-mère en 1933, soit en décalage de 6 ans avec le reste des courriers et le fait qu'elle est le personnage principal de cette correspondance laisseraient penser à une sélection effectuée par ses propres soins.

L'intérêt de cet ensemble réside dans le fait que les courriers respectifs ont été sauvegardés pour certaines périodes si l'on en croit les introductions épistolaires qui précisent souvent la teneur et la date de réception des courriers de l'autre. Les enveloppes portent la mention « FM », acronyme de « Franchise militaire ». Il s'agit d'un mode d'envoi postal qui permet aux militaires et prisonniers de guerre de correspondre par lettre simple avec leur famille à titre gratuit. Cet avantage, la distance qui sépare le couple et la seconde Guerre mondiale peuvent expliquer en partie le volume de cette correspondance qui compte parfois plusieurs lettres par jour.

Les lettres ne possèdent que rarement une indication chronologique précise. Les datations complètes au format « jj/mm/aaaa » n'apparaissent qu'à partir de 1945, certainement en raison des lourds retards dans l'acheminement du courrier maintes fois signalés. Les cachets postaux ont permis de rétablir une chronologie presque intégrale.

Les deux principaux auteurs sont mes grands-parents. Il s'agit avant tout de la correspondance d'un couple. Les marques d'amour et d'affection sont nombreuses certainement renforcées par la distance et les circonstances. Les autres auteurs sont des membres de la famille avec en tête les fratries respectives. Des collègues de mon grand-père lui écrivent. Quelques documents sont anecdotiques comme la lettre d'un commerçant qui lui adresse une surprenante demande d'information au sujet d'un de ses collègues, époux d'une cliente en manque de nouvelles (lettre de juillet 1945).

Le style des lettres est oralisé. Il s'agit d'une sorte de « conversation écrite » en un temps où l'usage du téléphone était rare. Les tournures oralisées sont fréquentes, la ponctuation est généralement absente. Cela peut s'expliquer par les conditions de l'écriture. En général, mes grands-parents étaient pressés car ils écrivaient en extérieur. « Tu sais je t'écris encore sur une planche en gardant les vaches. » (lettre de juillet 1939) ou entre deux activités extérieures (départ en patrouille, appel). Ils rédigeaient fréquemment dans leur chambre juste avant de s'endormir. Souvent, ils indiquent que la qualité de leur écrit est soumise aux conditions d'expédition (passage du facteur, intermédiaire sur le départ comme un chauffeur ou un permissionnaire). Ils rédigent dans des conditions de vigilance orthographique plutôt relâchées. La graphie presque horizontale de mon grand-père et l'écriture au crayon de papier de ma grand-mère trahissent parfois cette urgence à coucher sur le papier préoccupations du moment et constantes marques d'amour.

Les principales thématiques abordées sont d'une parfaite logique. On s'enquiert de l'état de santé des proches dans un contexte de pénurie médicale. Les occasions de tomber malade sont fréquentes à la campagne. Les correspondants signalent des malaises et des blessures surtout à l'occasion des moissons quand le temps est instable et que le rythme de travail est soutenu. La situation agricole constitue un questionnement permanent. Cette question est intéressante à double titre parce que c'est à la fois l'horizon professionnel de ma famille et la nécessité première en période de pénurie alimentaire. Quant il ne s'agit pas de la ferme, mes aïeux évoquent le jardin qu'ils défrichent dès 1940. « Tu a [sic] très bien fait de prendre un bout de jardin à côté du ruisseau car dans quelques temps les morceaux de terre incultes seront peut-être assez difficile à trouver. » (lettre d'août 1940). et les informations sur leurs connaissances. « Hier, j'ai reçu un coup de téléphone de la Marie qui m'a dit que le Jean était en bonne santé mais prisonnier en Allemagne. Le pauvre il est bien loin mais enfin il ne faut pas désespérer. Il sera peut-être libérer aussi vite que les autres qui sont sur le territoire métropolitain. » (lettre certainement d'août 1940). On ne s'étonnera pas de la rareté des remarques sur le conflit avant 1945 puisque le courrier est surveillé dès 1939 et que les activités clandestines de mon grand-père (FFI) exigent la plus parfaite discrétion. « Je maudis toutes les grosses crapules qui ont occasionnés la guerre sans cela on serait bien heureux tous les deux là-bas à faire notre petit bouleau [sic]. » (lettre d'août 1941). Inutile donc de chercher la trace de l'internement de prisonniers politiques au château de Mons ou de l'attaque de la gendarmerie d'Arlanc en juin 1943.

Et la moto dans tout ça ? Elle apparaît comme un moyen de transport habituel. Mon grand-père l'utilise pour ses déplacements professionnels mais aussi pour gagner au plus vite le lieu des rendez-vous avec sa fiancée : " Ah mon pauvre petit quel bouleau [sic] pour atteindre notre bonheur. Il faut croire qu'atteint avec tant de peine, il sera parfait, et surtout si tu viens en moto fait bien attention ne va pas trop vite. » (lettre de décembre 1939).

Cet été, j'ai donc bien lu pour vivre pendant deux semaines dans l'intimité de mes grands-parents un peu à la manière de cet opérateur de la Stasi dans le film La vie des autres. J'ai découvert avec envie le profond amour qui les unissait. « Peut-être que de ton côté tu es aussi également en train de m'écrire et dans ma pensée je te vois dans ta petite chambre penchée sur ton papier et malgré moi quelques petites larmes m'échappent car ma pensée de tous les instants est pour toi mon amour chéri. » (lettre d'avril 1940). J'en suis arrivé à m'interroger sur ma propre histoire d'amour bâtie à coups de SMS suggestifs et de courriels poétiques. Qui en gardera la trace après ma disparition ? Personne, à moins que les opérateurs de réseaux soient amenés à archiver les messages privés mis en ligne. C'est sans compter sur les logiciels de cryptage et surtout le droit des personnes. L'histoire populaire actuelle serait-elle vouée au néant ?

 

LEGENDE : Pièce de monnaie de l'Etat français (1940-44) et tickets de rationnement.
LEGENDE : Pièce de monnaie de l'Etat français (1940-44) et tickets de rationnement.
LEGENDE : Pièce de monnaie de l'Etat français (1940-44) et tickets de rationnement.

LEGENDE : Pièce de monnaie de l'Etat français (1940-44) et tickets de rationnement.

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