Versys ou le diktat de la raison pure

En guise de préambule, je vous laisse relire les premières lignes de mon article de janvier 2016 intitulé « Bourdon forever » : « Tu ne vendrais pas ta SV, par hasard ? ». La question de ce pote qui a un pote souhaitant débuter en piste m'a laissé dubitatif. Il existerait donc un type intéressé par Bourdon nippon Ier du nom ? Mon pisse-feu affichant 55 000 km et une carrosserie indigne de ce nom serait susceptible de trouver acquéreur ? En aussi peu de temps qu'une amorce de highside, j'ai répondu : « Non » parce que le Bourdon et moi, c'est l'histoire d'une collaboration qui a pris un tour passionnel. »

Ce matin, ma SV 650 S n'est plus au garage. Mon Bourdon nippon, LE Bourdon est allé rejoindre l'anonymat d'un parking de concession. Je lui souhaite de poursuivre sa belle carrière de piège à sensations avec un autre même si je redoute son dépeçage en casse. Jamais, une machine ne m'avait autant collé à la peau parce qu'à son guidon, je suis parfois allé plus loin que je ne l'avais envisagé que cela soit en vitesse, en trajectoire ou en destination. Cette Suzuki a traversé les années et les frontières sans aucune panne. J'avais confiance en elle et nous nous sommes mutuellement protégés pendant 10 ans.

Seulement, un paramètre a changé. J'ai vieilli alors que le Bourdon mûrissait. L'expérience catalane de ce printemps m'en a apporté la preuve comme une évidence. Si je me suis régalé dans les enchaînements de virages de l'arrière-pays barcelonais, j'ai souffert sur les trajets autoroutiers. Le portage des sacoches souples entre le parking et les tribunes du circuit sous le soleil m'a vidé. Mes lombaires m'ont rappelé à leur bon souvenir le long du golfe du Lion. Sans compter que la facture pétrolière et écologique de la SV n'était plus adaptée à l'époque.

Bien vivre, c'est survivre c'est-à-dire s'adapter. Je savais qu'il était impossible de vendre mon Bourdon dans cet état à un motard. Il me fallait donc passer entre les griffes d'un professionnel. Attiré par une belle occasion aperçue sur le net, je me suis rendu chez le concessionnaire qui l'avait déjà vendue. Je suis reparti avec une reprise pour une moto neuve toute équipée millésime 2018. Le bougre a sorti sa calculette, fait le point sur son volume de vente, l'état de son stock, la perspective de la prime constructeur, la part de la TVA et la profondeur de ma tronche pour me ficeler une offre immanquable.

Samedi, j'ai caressé pour la dernière fois la pointe du carénage avant gauche de la SV comme j'avais l'habitude de le faire sur les longues lignes droites. Nous nous sommes enlacés avant de nous séparer dans une mémorable pointe à fond de 6 ; comme avant.

Ce week-end, la passion s'est donc inclinée face à la raison. Une Kawasaki Versys 650 Special Edition 2018 a pris place sur la dalle. Avec ce petit trail urbain au look acéré, je perds un moteur mais je gagne un mulet né en Thaïlande. Le bicylindre parallèle japonais développe 69 ch sur le papier. Le châssis est bien suspendu. Les pneus Dunlop et le grand guidon permettent de gîter sans difficulté et en toute sécurité, ABS compris. La Versys consomme une misère tout en respectant la norme Euro 4. La bulle réglable manuellement et la selle molle décuplent la sensation de confort. Par contre, l'espace libre embarqué est minimaliste. Entre la batterie, la trousse à outils et le réservoir de liquide de frein arrière, il ne passe qu'un antivol U standard et un gilet de sécurité. J'ai donc commandé le kit touring de la marque japonaise afin de disposer de 66 litres d'espace étanche aux couleurs de la moto. En un tour de clé, je vais affranchir mon dos du poids du sac et libérer ma main du casque.

Une époque s'achève alors que la suivante est engagée depuis déjà 24 heures. Passage de roue.

Cogito ergo sum.

LEGENDE : Usine Kawasaki (Pluak Daeng, Rayong, Thaïlande)